Depuis de nombreuses années, les relations individuelles de travail ont connu une évolution avec l’utilisation de la notion de harcèlement moral devant les Tribunaux.
Cette orientation n’est pas fortuite :
• Elle permet d’attribuer des dommages intérêts qui ne sont pas enfermés dans un barème. Dit autrement, ils sont fonction du préjudice subi, lequel est apprécié souverainement par les juges. Il peut même y avoir attribution de dommages intérêts spécifiques indépendamment de ceux liés à un licenciement ;
• Elle permet d’invoquer la nullité d’un licenciement qui aurait été opéré au mépris de la protection accordée au salarié harcelé. En effet, il n’est pas rare de constater que la sanction va toucher celui qui invoque un harcèlement plutôt que le harceleur. Or, s’il y a nullité du licenciement, il y a alors réintégration et, par voie de conséquence, paiement rétroactif du salaire depuis le jour du licenciement jusqu’au jour de la condamnation judiciaire.
Les enjeux sont donc conséquents. Comment l’employeur doit-il appréhender la question ?
01 La définition du harcèlement moral
Selon la loi, « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » (article L1152-1 du Code du Travail).
02 Illustrations
Les condamnations sont des cas d’espèce et dès lors non transposables automatiquement. Ceci étant précisé, les indications des magistrats doivent permettre de distinguer le harcèlement moral d’une gestion quelque fois un peu rude des conditions de travail.
Demander à un salarié d’effectuer correctement son travail ne relève pas du harcèlement moral.
Par contre, prendre des décisions qui vont dégrader les conditions de travail comme :
• Le retrait sans motif du téléphone portable à usage professionnel,
• La mise en oeuvre de l’obligation de se présenter tous les matins à sa supérieure hiérarchique,
• L’attribution de tâches sans rapport avec les fonctions,
• Faire exécuter des travaux au mépris des prescriptions du médecin,
est constitutif de harcèlement moral.
03 Quelles précautions sont envisagées ?
Pendant l’exécution du contrat de travail, il faut relever les points non-conformes à une exécution loyale du contrat de travail. Est-ce que le salarié exécute correctement son travail ? Si non, il faut le signaler par écrit. Le recours à la sanction n’est pas indispensable de façon
systématique, il faut par contre matérialiser les faits commis.
Si une situation de harcèlement moral est invoquée, il faut la traiter par une enquête :
• Qui va permettre d’entendre la personne se prétendant victime : quels faits met-elle en avant ? Qui accuse-t-elle ? Son accusation est-elle destinée à faire diversion ? Son accusation n’est-elle pas fausse, démontrant ainsi la mauvaise foi du salarié ?
• Que répond la personne accusée ? Est-elle disposée à échanger avec la « victime » ? Reconnaît-elle les faits ?
Cet examen doit permettre à l’employeur d’arrêter une décision ou plusieurs :
• à l’égard du prétendu harceleur,
• à l’égard de la victime.
A l’égard du harceleur
Pour que sa responsabilité soit établie, cela suppose :
• De qualifier les faits : est-on bien dans les conditions du harcèlement ?
• De considérer qu’une décision pourrait permettre d’éviter que cela ne se reproduise,
• Qu’à défaut de décision autre, le licenciement s’impose.
Quelles peuvent être les modalités de ce dernier ?
On est sur le terrain du licenciement pour motif disciplinaire : il y a sanction par rapport à des faits fautifs.
Dans la hiérarchie des sanctions, est-ce un licenciement avec préavis et indemnité de licenciement ? Peut-il y avoir privation du préavis et de l’indemnité de licenciement ?
Dans ce dernier cas, cela suppose de considérer que la situation constatée rend impossible immédiatement la poursuite du contrat de travail. Il faut donc que le harceleur ait été mis à pied sans rémunération pendant la procédure de licenciement, l’employeur ne pouvant attendre le résultat d’une poursuite judiciaire pour ensuite prononcer un licenciement sans préavis.
Attention à la régularité de la procédure : les faits doivent donner lieu à l’engagement d’une procédure disciplinaire dans un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance. Cela ne signifie pas que des faits antérieurs de plus de deux mois ne puissent être invoqués, ils peuvent l’être à l’appui d’autres éléments datant de moins de deux mois.
Si l’employeur n’est pas en mesure de suivre cette procédure, il peut aussi utiliser la forme de la rupture conventionnelle, ce qui lui évitera un exposé de faits pas nécessairement simple à démontrer de façon convaincante.
A l’égard de la victime
Plusieurs situations sont possibles : elle a quitté l’entreprise ou est-elle peut-être en arrêt de travail pour raisons de santé.
Elle a pu quitter l’entreprise dans le cadre de ce qu’on appelle la prise d’acte : la personne estime qu’elle subit une violation de la loi qui lui permet de tirer les conséquences du comportement de son cocontractant en prononçant la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur. Cela est alors qualité de licenciement sans motif réel et sérieux si l’argumentation du plaignant ou de la plaignante est suivie.
Dans cette hypothèse, le salarié obtient le paiement du préavis, l’indemnité de licenciement et des dommages intérêts.
La victime peut aussi être en arrêt de travail pour raisons de santé : la perturbation liée à son absence ne peut servir de motif à un licenciement pour nécessité de remplacement définitif.
Si, à l’issue de l’arrêt de travail, elle est déclarée inapte, il faudra rechercher une possibilité de reclassement à proposer à l’intéressée qui pourra la refuser et conserver le bénéfice d’un licenciement abusif car fondé sur une faute de l’employeur.
04 La responsabilité de l’employeur
Elle peut être civile et pénale. Civilement, l’entreprise devra assurer la charge des condamnations (dommages intérêts, …). Pénalement, qui va être poursuivi ? L’employeur ? Le responsable des faits ? Les deux ?
Il ne faut pas oublier que l’employeur est responsable des faits commis par les salariés.
A-t-il laissé le harceleur agir sans réaction de sa part alors que le comportement incriminé lui avait été déclaré ?
Dans certains cas, il peut y avoir matière à prendre des mesures disciplinaires à l’encontre du harceleur et de son supérieur, hiérarchique ou fonctionnel, qui n’aura pas pris d’initiative pour faire cesser le harcèlement.
Or, l’employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires « en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral » (article L1152-4 du Code du Travail).
A fortiori quand des faits sont avérés : selon la loi, « tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire » (article L1152-5 du Code du Travail).
Plus globalement, l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et l’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité.
Il doit aussi répondre des agissements de ses salariés qui exercent une autorité sur les salariés.
05 Conclusion
Une procédure de médiation peut être opportune. Cela suppose un accord entre les parties sur le principe de la médiation. Si elle a pu être mise en œuvre, encore faut-il un accord de chaque partie sur la (ou les) proposition(s) que le médiateur pourra présenter.
Dans tous les cas, l’employeur doit être vigilant et agir.
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